4. Heureusement, les enfants grandissent
Après le cauchemard des premières années, cette période de la tendre enfance me fit l'effet d'un hâvre de paix. Les enfants grandissaient bien.
Corentin, toujours féru de cuisine, se régalait de brioches qu'il cuisinait lui-même sur une petite gazinière jouet, heureusement garantie contre tous risques d'incendie.
Oui, heureusement, parce que si Corentin se débrouillait assez bien en cuisine, je n'en dirai pas autant des filles.
Je ne compte pas le nombre de fois où elles auraient pu périr dans un incendie en voulant, elles aussi cuisiner des brioches.
Elles criaient à l'injustice
-Pourquoi c'est toujours Corentin qui a le droit de faire la cuisine ? La cuisine, c'est un jeu de filles.
C'est fou comme les idées reçues se véhiculent même au sein des familles les moins sectaires.
Ca avait le don de me mettre en rogne, moi qui ne faisais aucune différence entre jeux de filles et jeux de garçons.
Il y avait des jeux, point final.
Cyrielle se rabattait sur le chevalet. Elle était devenue une véritable experte et son instituteur criait au miracle, la qualifiant de Mozart de la peinture.
Il s'était même fait fort de vendre quelques-unes de ses toiles, et je dois avouer que je ne crachais pas sur cette manne inespérée.
Ses talents, commentés par le téléphone arabe, commençaient à être connus. Et je vis débarquer un jour l'un des hommes les plus influents de la ville :
M. Rapat-Sité en personne, qui demandait si Cyrielle ne voudrait pas faire son portrait, promettant en contrepartie d'intercéder en ma faveur afin que j'obtienne des promotions.
C'est ainsi que je me suis retrouvé bombardé sous officier.
Le défilé des amis des enfants ne connaissait pas de fin. Amis d'un jour, ou amis fidèles, comme Zabelle la fille de nos voisins et soeur de l'ami de Corentin.
Elle s'entendait à merveille avec mes deux filles. De mon côté, j'appréhendais un peu cette amitié. Les voisins menaient grand train et je craignais qu'à leur contact mes enfants ne finissent par me demander la lune.
A défaut de lune, ils m'ont tout de même réclamé un télescope, et Corentin pouvait rester pendant des heures l'oeil vissé sur la lunette.
Mes enfants étaient de bons élèves, je me montrais intraitable sur les devoirs. J'avais pour eux de grandes ambitions. Ils ne perdraient pas leur temps comme je l'avais fait moi-même, à courir les salles de jeu, ils auraient des métiers sérieux et bien rémunérés.
Nounou Cécile était chargée de leur faire réciter leurs leçons. Ce dont elle s'acquittait fort bien.
J'avais placé la barre très haute, leur ayant déclaré que je ne serai satisfait que lorsqu'ils auraient 20/20 de moyenne.
Dans le cas contraire, il était inutile de venir me déranger quand je me lançais dans les révisions, ayant décidé de suivre des cours du soir pour rattraper des études qui avaient couru plus vite que moi.
Cyrielle fut la première à m'annoncer la bonne nouvelle.
Le même jour, Corentin m'annonçait également qu'il venait d'obtenir son premier 20/20.
Aussi fier d'eux que je puisse l'être, ma joie aurait été incomplète si Sharon était restée à la traîne.
Aussi, m'inquiétai-je de ne pas la voir descendre du car en brandissant son carnet de notes.
-Et Sharon ?
Je m'étais inquiété à tort. Elle avait simplement pris le temps de jouer avec son amie Zabelle avant de venir elle aussi m'informer de ses résultats. Je les congratulai de mon mieux, et j'avoue que j'aurais pu faire mieux.
-Puisque vous êtes arrivés en haut de l'échelle, tâchez d'y rester.
Ce qu'ils firent.
A mon grand regret, bien que reconnaissant pour l'aide qu'elle m'avait apportée, j'ai été contraint de me séparer de Cécile Gaast.
Je l'avais surprise à voler nos simflouzes.